Afin de faciliter le recrutement de patients atteints d’un cancer pour des essais cliniques, nombre de spécialistes plaident pour des databases internationales. Une idée simple qui se heurte à plusieurs obstacles…
Grâce aux progrès de la science, on comprend de mieux en mieux les maladies cancéreuses. Un exemple : les cancers du poumon. Dans les années 1990, on en différenciait deux types au microscope. Aujourd’hui, grâce à l’analyse moléculaire, on « voit » les tumeurs beaucoup plus en détail et on peut en distinguer plus de 12 catégories différentes. Ce qui a permis de mieux cibler les thérapies. Conséquence : de nombreux patients ont vu leur qualité et/ou leur espérance de vie augmenter.
Des patients difficiles à trouver
Ces progrès ont été possibles grâce à des essais cliniques menés sur des centaines de patients. Seulement voilà : plus on affine la catégorisation des cancers, plus les essais cliniques sont compliqués à mener. Surtout lorsqu’il s’agit d’étudier des formes rares de cancers ou des tumeurs qui ont muté de façon très spécifique. « Aucun centre de traitement n’a assez de patients concernés par un certain type de cancer pour pouvoir constituer, seul, une cohorte suffisante », explique le Dr Roger Stupp, président de l’Organisation européenne pour la recherche et le traitement du cancer (EORTC) et oncologue à l’Hôpital universitaire de Zurich. « Il faut donc travailler avec d’autres centres, d’autres hôpitaux pour regrouper suffisamment de patients. »
Vie privée versus vie tout court
Nombre de médecins oncologues et de scientifiques rêvent donc d’une base de données qui regrouperait, ne serait-ce qu’à l’échelon européen, les données médicales des patients cancéreux et les caractéristiques de leur(s) cancer(s). Il suffirait de la consulter pour savoir où trouver les bons profils et, le cas échéant, proposer à ces patients de participer à un essai clinique pour tester un nouveau traitement. L’idée est séduisante, mais elle se heurte à plusieurs obstacles.
Les premiers sont financier et logistique : la création d’une database présupposerait une analyse systématique et approfondie de toutes les tumeurs, comme cela se fait dans certains pays. Or, en Belgique, par exemple, ce genre d’analyse n’est effectué que dans certains cas, essentiellement pour des raisons budgétaires.
Vient ensuite l’épineux problème du secret médical et de la protection des données. « Google en sait plus sur vous que votre médecin ! », regrette le Dr Stupp. « C’est tout le paradoxe de notre société : d’un côté, on expose la vie privée sur les réseaux sociaux. D’un autre côté, on rechigne à ce que des médecins aient accès aux données médicales des gens dans le but, rappelons-le, de les soigner ! »
Méfiance, méfiance…
Autre problème, corrélé aux précédents : la méfiance qu’éprouve une partie de l’opinion à l’égard du monde médical et, a fortiori, du secteur pharmaceutique. « Bien sûr qu’il y a des intérêts économiques en jeu. Et il y a eu des abus, on ne peut le nier. Cependant, arrêtons la paranoïa ! Tous les spécialistes du cancer veulent la même chose : trouver des traitements efficaces et sauver des vies… »
La méfiance n’est pas uniquement le fait des patients. Universités, hôpitaux et laboratoires sont trop souvent en concurrence les uns avec les autres et rechignent parfois à travailler ensemble… de peur de se faire « voler » la parenté d’une découverte. « Or, le temps où les grands progrès scientifiques ne résultaient que du travail d’une seule personne est révolu », explique le Dr Stupp. « Aujourd’hui, une avancée majeure est presque toujours le fait de plusieurs personnes, voire de plusieurs équipes. Logique : c’est ensemble que nous travaillons le mieux ! Le défi consiste, selon moi, à valoriser le travail commun dans une société qui prône l’individualisme… »
Une administration sans fin
Mais une database européenne ne résoudrait pas tous les problèmes : il faudrait également uniformiser et simplifier la réglementation. Car si les essais cliniques internationaux sont si difficiles et si longs à mettre en place, c’est aussi à cause des nombreuses démarches administratives propres à chaque pays. « Ces dernières années, le nombre de procédures a augmenté et les règles se sont complexifiées. Tout est devenu très (trop) réglementé. Or, tous les règlements ne sont pas pertinents. Si un essai clinique a reçu le feu vert des comités d’éthique français, pourquoi faudrait-il se reposer la question en Belgique ou en Suisse ? Nous perdons un temps considérable au détriment des patients qui, pendant ce temps, n’ont pas accès aux traitements innovants… » |